Encore une fois, deux personnalités aux histoires bien différentes de celles des français se retrouvent à la tête de l’État. Si le fait que Gabriel Attal et Emmanuel Macron proviennent respectivement, l’un des bancs de l’école Alsacienne, l’autre du lycée Henri IV (à Paris) ne pose pas de problème en soi, la gouvernance par une élite devenue incapable de saisir les divisions sociales et les préoccupations des français, fait en revanche, peser de manière certaine une menace sur notre démocratie.
C’est dans ce contexte que la lecture ou la relecture du livre de Christopher Lasch (« la révolte des élites ») nous apparaît plus que jamais indispensable. Cet historien et sociologue américain a consacré sa dernière œuvre, parue en 1994, à mettre en lumière la menace que représenterait d’après lui, pour la démocratie, la persistance d’une élite hermétiquement séparée du reste de la société. Ses observations, bien que rédigées il y a près de trente ans, frappent par leur modernité.
L’écrit qui va suivre n’est pas un résumé rigoureux du livre, mais davantage une analyse critique de l’actualité, éclairée par ses constats.
La faute aux masses ?
Aujourd’hui, force est de constater que notre démocratie peine à convaincre. Le déclin de la participation, le regain de popularité des modes de gouvernance autoritaires ou encore, le recours plus fréquent à la violence, sont autant de preuves du malaise patent traversé par notre modèle politique. Mais curieusement, lorsqu’il s’agit de trouver des responsables, beaucoup se retournent vers les couches populaires. Sans réel force politique, « les remplaçables » apparaissent comme les bouc-émissaires idéaux. Parce qu’ils seraient prétendument incompétents à saisir le réel et se désintéresseraient de la politique, ils seraient responsables des difficultés traversées par le pays. Toutefois, Christopher Lasch nous invite à renverser ce raisonnement fallacieux et propose une autre explication.
La renaissance d’une aristocratie ?
Selon lui, ce ne sont pas les foules, mais les « élites » qui mettraient en péril l’ordre social. Christopher Lasch choisit délibérément cette appellation provocante d’« élite » pour désigner le renouveau d’une aristocratie nouvelle.
Quand bien même cette « élite » devrait son statut, en partie, à des privilèges hérités, elle s’attacherait à maintenir la fiction selon laquelle son pouvoir reposerait sur le seul mérite intellectuel. Contrairement à l’ancienne noblesse, elle n’aurait pas de gratitude ancestrale et ne reconnaîtrait aucune responsabilité du passé. Elle se penserait comme une « élite » qui se serait construite seule et qui ne devrait ses privilèges qu’à ses propres efforts.
Découle de ce constat une mise en marge du reste de la société. À l’image de l’ancienne aristocratie : les élites développeraient des traits communs, penseraient de la même manière et se regrouperaient de plus en plus dans les centres villes. Cette analyse dressée par l’auteur est corroborée par les faits. Ainsi, si en 1982 près de 24,7 % de la population parisienne était cadre, en 2013, ce chiffre s’élève à près de 46,4 %.
Cette mise à l’écart des élites françaises conduirait à complexifier ses rapports avec le reste de la société. Cette tranche de la population ne rencontrerait plus d’idées opposées … Pleinement intégrée dans la mondialisation, elle peinerait à entendre que d’autres s’en méfient … Ne rencontrant que peu l’immigration, elle mépriserait ceux qui la raillent … Naturellement positif quant à l’avenir, l’incompréhension serait son unique réponse face à l’augmentation du nombre de dépression …
Quels risques pour la démocratie ?
La démocratie, qui a pour ambition première de créer du commun à partir du particulier, fait alors face à une difficulté structurelle. Afin de mener à bien sa mission, elle suppose un sentiment d’appartenance à un destin commun. Or aujourd’hui, la mise à l’écart grandissante d’une élite mondialisée met à mal ce projet.
Se sentant de moins en moins liée au reste de la population, cette recherche d’un « destin commun » semble fragilisée. Le champ politique rend tristement compte de cette fracture. Entre un « vote RN » et « un vote Renaissance », davantage qu’une guerre d’idées, ce sont des histoires, des situations, des modes de vie qui s’affrontent.
Dans ce contexte, la nomination de Gabriel Attal au poste de premier ministre illustre cette victoire de ce que Christopher Lasch nommait « les élites ». Alors, deux questions s’imposent : combien de temps « les élites » vont-elles continuer à tenir ainsi les rênes du pouvoir ? Et quelles sont les alternatives à cela ?
Si de nombreuses démocraties ont déjà fait leur « révolution » (l’Italie, l’Argentine ou les Pays-Bas) en faisant le choix des extrêmes, Lasch préconise quant à lui une nécessaire adaptation aux revendications du peuple. Ainsi proposait-t-il l’ouverture du pouvoir à des personnalités plus représentatives de la diversité et de la complexité de la société. Dans le même temps, il préconisait une transformation en profondeur du système éducatif, devant selon lui promouvoir une éducation axée sur la citoyenneté active et la pensée critique, plutôt que sur une formation technique et la compétition individuelle.
Non résolument optimiste quant à l’avenir, Lasch nous montre à travers une description douloureuse de la réalité, la route à suivre pour que nous le devenions.
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