Le 8 novembre 2024, Didier Migaud, ministre de la Justice, a présenté à Marseille le volet judiciaire du nouveau plan gouvernemental de lutte contre le narcotrafic et le blanchiment d’argent. Intitulé « Lutte contre la criminalité organisée : Changer d’échelle pour agir plus efficacement », ce plan, consultable sur le site du Ministère de la justice, traduit l’inquiétude croissante de l’État face à ce problème en pleine expansion – le 14 mai 2024, une commission d’enquête sénatoriale consacrée au trafic de stupéfiants faisait état, dans son rapport conclusif, d’une France « submergée par le narcotrafic ».
 

© Andrei David Nagy 

L’État a choisi une réponse principalement répressive, notamment avec la création d’un Parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Cet « appareil d’investigation, de répression et de détention, beaucoup plus puissant qu’aujourd’hui », sera chargé de traiter de nouvelles infractions, comme l’association de malfaiteurs en bande organisée. Il disposera de pouvoirs élargis pour les enquêtes liées au narcotrafic et au blanchiment d’argent, ainsi que de la mise en place d’établissements pénitentiaires spécialisés pour les condamnés les plus dangereux. Ce plan prévoit également une répression plus sévère des consommateurs de stupéfiants.

Les mesures envisagées par le gouvernement sont-elles vraiment adaptées ?

On peut en douter au vu de divers travaux de chercheurs en criminologie. Durcir et accroître la répression tout en augmentant les dérogations processuels. Ces choix attestent d’une déconnexion des pouvoirs publics par rapport aux réalités du terrain et un désarroi quant à la méthode à utiliser pour lutter contre les narcotrafiquants. Narcotrafiquants qui agissent le plus souvent en bande organisée. En France, au cours de la dernière décennie, on estimait que le marché de la cocaïne comptaient 23 chefs de réseau pour 25 707 détaillants – et qui, bien souvent, sont peu effrayés et dissuadés par l’ampleur des peines encourues. Lutter contre le narcotrafic uniquement par des moyens d’arrestations et une sévérité accrus reste très compliqué car, telle l’Hydre de Lerne, lorsqu’un réseau est démantelé, un autre repousse très vite à sa place. Dans leur étude sur la théorie du choix rationnel, Ronald Clarke et Derek Conrnish, deux criminologues britanniques, ont établi que, pour les criminels, « l’élément le plus influent, c’est le fait d’être arrêté plus que d’être puni ».

Miser sur la prévention plutôt que la répression permettrait, selon eux, de « réduire les occasions criminelles ».

Le nouveau plan de lutte contre la criminalité organisée annoncé par le garde des Sceaux risque, par ailleurs, de finir d’engorger un système pénal déjà en crise. Pour rappel, au 1er octobre 2024, le taux de surpopulation carcérale en France s’établissait à 127,3% selon le Ministère de la justice. Par ailleurs, un rapport de la Commission européenne pour l’évaluation des systèmes judiciaires européens (CEPEJ), paru en octobre 2024, pointait qu’avec un « nombre de magistrats professionnels, particulièrement au ministère public, de 3,2 procureurs pour 100 000 habitants en 2022, la France se situe à un niveau très inférieur de la médiane européenne, qui s’élève à 11,2 procureurs pour 100 000 habitants ».

Si la réponse répressive envisagée est inadaptée, il reste un autre levier : celui de la prévention. Face aux défis majeurs posés par la criminalité organisée, l’Union européenne a fait ce choix. En 2021, les Vingt-sept ont défini 10 grands objectifs devant leur permettre de lutter contre ce fléau au cours des cinq prochaines années. Les mots « repérer », « recenser », « cibler », « démanteler » reviennent tout au long de ce rapport et traduisent la priorité donnée à l’action en amont de la chaîne de consommation.

Surtout, depuis 2017, ils ont mis en place un Programme Europe-Amérique latine d’assistance contre la criminalité transnationale organisée (El Paccto). Objectif de ce programme de coopération internationale financé à hauteur de 20 millions d’euros : contribuer à la sécurité et à la justice en Amérique Latine en travaillant de façon transversale sur l’ensemble de la chaîne pénale (police, justice et pénitentiaire). Deux organismes sont chargés de mettre en oeuvre ce programme pour le compte de l’Union européenne : Expertise France, agence publique française de conception et de mise en œuvre de projets internationaux de coopération technique, et la Fondation internationale et ibéro-américaine pour l’administration et les politiques publiques (FIIAPP), fondation publique espagnole qui vise à améliorer le cadre institutionnel, la législation et le fonctionnement des administrations publiques des pays dans lesquels elle travaille. Les membres recrutés par Expertise France et la FIIAPP sont des professionnels issus de divers horizons, du domaine juridique notamment. Leur mission consiste à dispenser des conseils et une assistance aux 18 pays d’Amérique latine partenaires afin qu’ils modernisent et adaptent leurs systèmes législatifs aux enjeux de la criminalité organisée.

Aider activement ces pays à réformer leur législation afin de limiter l’expansion du narcotrafic en Europe semble une démarche pertinente : selon l’Insee, en 2020, le marché de la drogue en France représentait un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros, soit 0,1 % du produit intérieur brut « dont un peu plus de la moitié proviendrait du trafic de cannabis et 38 % de la cocaïne ». Or, comme l’atteste divers rapports de l’Agence de l’ONU contre la drogue et les crimes (ONUDC) et de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA), ainsi que les infographies de Statista, la cocaïne est principalement produite en Amérique du Sud – la Bolivie, la Colombie et le Pérou détiennent le monopole de la production de la feuille de coca, matière première dont est extraite cette drogue. Elle transite ensuite par les territoires d’outre-mer français, la Guyane notamment, à partir desquels des « mules » se chargent de l’acheminer vers le territoire européen. Agir à la source en encourageant de profondes réformes législatives dans les pays pourvoyeurs de cocaïne pour tenter d’assécher, ou au moins de freiner, l’approvisionnement des trafiquants en Europe est une entreprise louable mais dont l’efficacité reste à déterminer. Principalement, car la corruption qui gangrène nombre de pays d’Amérique latine (phénomène largement documenté) est un autre frein important à la mise en œuvre de véritables mesures de lutte contre la criminalité organisée dans ces pays qu’El Paccto est sensé accompagner.

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