© De qui se moque-t-on ? Par Monsieur KAK
La place de la femme en politique française, une féminisation du gouvernement encore loin de son apogée
Semé d’une présence quasi insurmontable, d’une inégalité certaine et d’un sentiment d’illégitimité, la lutte acharnée pour la féminisation du gouvernement rencontre toujours des fragilités persistantes, dans un contexte du 21ème siècle semblant pourtant à l’origine moderne et évolué à des égards.
Quelles évolutions dans un contexte historique semé d’injustices ?
La place des femmes dans la politique française a en effet évolué au cours des siècles. Nous remarquons de prime abord, pendant la période de la Révolution française, l’émancipation des femmes qui est malheureusement contestée, époque durant laquelle Olympes de Gouges écrit d’ailleurs la fameuse Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne en 1791. Depuis cet événement, quelques revendications féministes ont ensuite lieu, telles que les révoltes des suffragettes au Royaume-Uni, mais leur combat continue de rencontrer des difficultés de toutes sortes. Effectivement, on l’observe sans peine avec l’exemple du régime de Vichy qui n’est pourtant pas pas si lointain que l’on pourrait le penser, et qui leur assignait encore le rôle de femme au foyer, réduite aux tâches domestiques et au rôle de mère uniquement. En 1944, les femmes obtiennent enfin le droit de vote alors que les hommes l’avaient depuis 1848, en rappelant également que dans l’Histoire elles n’ont pas toujours eu le droit à l’éducation. Finalement, ce n’est pas plus tardivement qu’au 20ème siècle que l’image de la femme évolue, et que la question de l’égalité entre l’homme et cette dernière commence à se poser avec notamment la révision du Code civil français entre 1999 et 2008.
« La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune »
© Collection privée June Purvis
Or, le constat est qu’aujourd’hui encore, les stéréotypes de genre restent dominants et freinent l’engagement des femmes, notamment dans la sphère gouvernementale, politique. Elles sont encore parfois peu prises au sérieux, reléguées à des rôles secondaires et jugées comme n’étant pas assez compétentes ou n’ayant pas les « épaules » pour s’occuper des vrais problèmes du gouvernement français. De ce fait, pour comprendre les origines de cette problématique, il convient d’apporter quelques précisions.
Une réalité genrée, soutenue par d’obstacles et causes multiples
D’une part, dans les origines de la profession politique, la professionnalisation a bel et bien existé, mais surtout pour les hommes, de sorte que la profession politique a institué un certain nombre de normes liées à la construction de la profession politique par et pour eux, en faisant alors exclusivement un métier masculin. Les difficultés d’accès des femmes résultent du fait que pour devenir un professionnel de la politique, il faut avoir des qualités masculines. En conséquence, nous nous trouvons face à une profession limitée par des règles et des normes de genre informelles, avec l’existence de prédispositions liées au capital genré comme l’illustre Frédérique Matonti, dans Le genre présidentiel.
D’autre part, le public voit dans les professionnels de la politique des personnes qui s’expriment remarquablement à travers « l’art oratoire », on remarque alors souvent la façon de parler fort, d’interrompre quelqu’un pendant qu’il s’exprime, de mobiliser l’attention dans un espace confiné (grâce aux coffres de la voix), avec des critiques adressées en particulier aux femmes qui prennent la parole dans l’assemblée (« vous ne parlez pas assez fort », par exemple).
En revanche, pour les hommes, on se rend compte que Dupont-Moretti n’hésite pas, par exemple, à s’emparer du micro, car ces derniers possèdent les codes pour impressionner, notamment dans des lieux comme la tribune de l’Assemblée nationale, où l’usage de la parole leur est familier.
D’une manière générale, on constate que les femmes en politique doivent apprendre à s’affirmer en public et s’approprier des codes masculins, comme la prise de parole en public, pour se faire entendre. Cette idée met en évidence la notion de « rôle » en politique, qui impose des codes pour exister et consolider sa position. Ainsi, les femmes sont confrontées à une double contrainte, soit elles adoptent des comportements dits « féminins » et se conforment aux attentes sociales, soit elles font le choix d’adopter des attitudes perçues comme masculines, et prennent donc le risque d’être stigmatisées.
Par ailleurs, dès leur arrivée, les femmes députées sont souvent amenées à s’intéresser aux affaires sociales ou culturelles, rarement à la défense ou aux affaires étrangères, domaines supposés plus masculins. De ce point de vue, les femmes sont incitées à se cantonner à des domaines d’expertise stéréotypés « féminins », alors que les commissions les plus prestigieuses, comme celle de la Défense, restent majoritairement masculines. À titre d’exemple, la Commission des affaires étrangères est l’une des moins féminisées de l’Assemblée, alors qu’elle est aussi l’une des plus respectées.
En conséquence, cette inégalité crée un cercle vicieux dans lequel les hommes accaparent la conversation, ce qui maintient les femmes à distance des talents oratoires, génère chez elles un sentiment d’incompétence et les oblige à redoubler d’efforts.
En somme, le « rôle de genre » impose en réalité des attentes : si les femmes tentent de se comporter comme des hommes, d’investir des rôles dominants ou des positions de ce type, elles se retrouvent finalement confrontées aux normes de l’ordre sexuel qui imposent aux femmes de se comporter comme des femmes, et peuvent donc être jugées pour leur manque de « féminité ».
Enfin, la sélection à l’entrée de la profession politique elle-même introduit une autre forme d’exclusion des femmes de ce milieu : sous la Vème République, l’accès à la fonction de député a été très lent jusqu’en 2017 avec 3% de femmes députées en 1998, et 13% en 2007. Face à cela des tentatives ont été faites pour favoriser l’accès des femmes au mouvement électif avec la loi sur la parité du 6 juin 2000.
@AssembleeNat sur X
L’objectif de cette loi était d’imposer l’égalité entre les candidats masculins et féminins au sein du parti, sous peine de sanctions financières. Cependant, tous les partis politiques se sont opposés à l’entrée des femmes en la matière, et ont donc dû payer la pénalité. Finalement, ils se sont conformés à la loi en la contournant et en présentant des candidates dans des circonscriptions ingagnables.
Qui plus est, le sentiment d’illégitimité, le sexisme, l’infériorisation, les violences sexuelles et sexistes, ou encore la présomption d’incompétence… sont souvent ce à quoi les femmes sont confrontées lorsqu’elles s’engagent en politique et ces obstacles sont de véritables freins à l’engagement de celles-ci, et dissuadent même parfois certaines d’entre elles de franchir le pas.
D’un bilan questionnable à l’espérance d’une prise de conscience assumée et de changements
Le constat de cette situation n’est donc pas des plus réjouissants. Même si des progrès ont été réalisés ces dernières années, comme le fait que 45% des conseillers municipaux sont des femmes, et que près de la moitié des élus aux élections régionales de 2021 sont des femmes, l’équilibre de la parité en politique est certes de moins en moins défavorable à cette minorité, mais il reste défavorable dans les postes à haute responsabilité. Une fois élues, en effet les femmes accèdent encore peu aux plus hautes responsabilités. En 2021, elles présideront six des 18 régions, en 2015, c’était le cas de trois régions. De surcroît avec seulement 36% de femmes parmi les députés élus, le scrutin de juin 2024 confirme le recul de la représentation des femmes amorcé en 2022. Entre 2017 et 2024, la proportion de femmes a diminué de 2,7 points, un chiffre plus que alarmant. La parité est donc en panne à l’Assemblée nationale, institution qui joue un rôle central dans notre démocratie, l’idéal de la représentation miroir populaire que nous tenons tant à atteindre.

© Direction générale des collectivités locales, Insee, Sénat
Au demeurant, cette tendance s’explique en partie par la montée en puissance du Rassemblement National, parti dont la proportion de femmes élues est la plus faible.
Cette problématique persistant, les solutions pouvant permettre d’y pallier ne sont pourtant pas si inatteignables ou délicates à mettre en œuvre. Nous pourrions tout simplement encourager les femmes à ne pas avoir peur et à oser entrer en politique, et à occuper de hautes fonctions par exemple, en hésitant d’ailleurs pas à encourager les jeunes filles dès leur plus jeune âge à affronter leur peurs et à s’interposer. De plus, il est crucial de ne pas rendre la question du féminisme taboue, comme le font certaines personnalités importantes du gouvernement, y compris des femmes elles-mêmes.
Le phénomène d’alternance, lui, est également une solution attractive car il favorise l’entrée des femmes en politique, dans des partis qui n’ont pas beaucoup d’élus et peuvent dès lors proposer ces dernières dans des circonscriptions facilement gagnables. Enfin, l’ouverture des mentalités en général serait un grand pas en avant pour ce sujet, et il faut surtout repenser notre rapport au pouvoir et à la politique, et notre façon de voir les choses. Il est en effet impératif de dissocier le pouvoir, de la domination, et de faire en sorte que les citoyens et l’Etat lui-même aient suffisamment confiance dans les compétences et la force d’une femme pour lui donner le droit d’exercer une fonction politique au sein du gouvernement.
© Tiverets
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