L’ARCOM a publié il y a quelques mois la nouvelle répartition des chaînes de la TNT. La décision a fait beaucoup de bruit : C8 a perdu sa fréquence.
Sur quels fondements l’ARCOM s’est-elle appuyée afin de ne plus attribuer sa fréquence à C8 ? Quelles sont les conséquences de cette décision sur l’opinion publique ? Peut-on y voir une atteinte aux droits et libertés ?

Qui est vraiment l’ARCOM et quel est son rôle dans l’attribution TNT ?

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) est une  Autorité Administrative Indépendante (AAI) en charge du secteur audiovisuel français. Son rôle  est d’attribuer et de réguler les fréquences de la TNT en veillant au respect des principes  fondamentaux de pluralisme, de diversité et de qualité de l’information.  

Les chaînes de télévision qui souhaitent obtenir ou conserver une fréquence TNT doivent passer  par un appel à candidatures et remplir plusieurs critères définis par la loi du 30 septembre 1986.  L’ARCOM doit alors examiner les requêtes et vérifier que les candidats répondent à des critères  de différentes natures : notamment leur capacité technique à couvrir un territoire, l’absence de  position dominante, respect de quota ou encore l’expérience et pour les candidats sortant, la  manière dont ils ont respecté les règles imposées par cette même loi (pluralisme…). 

L’autorisation d’exploitation est valable pour une durée de dix ans, après quoi les chaînes  doivent soumettre une nouvelle demande. 

En 2025 de nombreuses chaînes arrivent au bout de leur autorisation, notamment toutes celles du groupe Canal (C8, CNews, CStar…), ainsi que certaines chaînes du groupe TF1 (TFX, TMC,  LCI…) ou encore W9, BFMTV, NRJ12…  

Les candidatures sont analysées par les membres de l’ARCOM. La décision définitive est alors  tombée en juin 2024 : C8 ainsi que NRJ12 perdent leur fréquence.  

C8 : l’une des chaînes les plus visionnées en France 

Il ressort des audiences que la chaîne C8 est l’une des plus visionnées par les Français. Au cours  du mois de janvier 2025 elle occupait la sixième place avec 44 millions de téléspectateurs sur  l’ensemble du mois (derrière TF1, France 2, France 3 et France 5). La chaîne devançait cette  année Arte, Cnews et BFM TV. 

Son succès repose en grande partie sur son émission phare, Touche Pas à Mon Poste (TPMP).  Ce programme, qui domine le segment du « talk-show », a atteint 2,2 millions de téléspectateurs  en moyenne en février 2025. En seulement deux ans, C8 est passée de la neuvième à la sixième  place des chaînes les plus regardées. 

Les abus, C8 : la chaîne la plus condamnée de la TNT 

Malgré son succès, c’est un constat lourd pour le groupe Canal+ qui détient C8, au total, la  chaîne a cumulé 7,6 millions d’euros d’amendes en raison de controverses principalement liées  aux prises de parole de Cyril Hanouna dans TPMP.  

À ce titre de nombreux exemples peuvent être cités : en juillet 2023 l’ARCOM a sanctionné la  chaîne pour une séquence diffusée en mars 2023, au cours de laquelle un invité avait évoqué la  consommation d’une prétendue drogue à base de sang d’enfant par des personnalités, sans que  ces propos ne soient contredits ou nuancés ou encore l’amende de 3,5 millions d’euro après  l’altercation bien connue entre Cyril Hanouna et le député Louis Boyard.  

S’ajoutent à toutes ces amendes, plus de 40 rappels à l’ordre du gendarme de l’audiovisuel. Ce  qui fait de cette chaîne la plus condamnée de la TNT. 

L’ARCOM a alors pris la décision de ne pas renouveler la fréquence hertzienne de la chaîne pour 3 raisons majeures. Pour commencer, la raison évidente déjà évoquée : les polémiques et  sanctions à répétition, TPMP a été au centre de nombreuses controverses, souvent en  contradiction avec les obligations imposées aux chaînes hertziennes. Mais également le manque  de diversité de la chaîne et de différenciation de l’offre par rapport à ses concurrents. Ainsi que  programmation non originale due à trop grand nombre de rediffusions (1 700 heures au total).  

Décision polémique qui a suscité la réaction de nombreuses  personnalités

C8 étant une des chaînes nationales les plus visionnées, la décision de l’ARCOM a provoqué  une vague de réactions dans le paysage médiatique et politique.

Les chaînes ont saisi le Conseil d’État afin de contester la décision de l’ARCOM et d’annuler  le non-renouvellement de leur fréquence. 

Des réactions des personnalités politiques s’en sont immédiatement suivies, tandis que  généralement la gauche salue cette décision, la droite et l’extrême droite, elles la déplorent. Éric  Ciotti s’indigne sur X en qualifiant la décision de « scandale démocratique ». Ou encore la  député Caroline Parmentier qui dénonce un «acharnement contre Cyril Hanouna et Vincent  Bolloré» 

© X de Caroline Parmentier

Mise en balance de l’exclusion de C8 : liberté d’expression, démocratie et pluralisme 

L’exclusion de C8 de la TNT a immédiatement soulevé un débat sur la liberté d’expression.  L’ARCOM a-t-elle censuré une chaîne appréciée des Français ou a-t-elle simplement appliqué  les règles de régulation du paysage audiovisuel ? 

Il convient de préciser que les chaînes de la TNT sont en nombre limité, la France ne dispose  que de 31 fréquences. C’est pourquoi la loi de 1986 pose des principes applicables à  l’audiovisuel, que les chaînes bénéficiant de celle-ci doivent respecter. 

La liberté d’expression est néanmoins un principe fondamental de notre société et est protégé  par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789. Elle  permet à tout individu de s’exprimer sans risquer d’être sanctionné.  

Néanmoins, celle-ci n’est pas absolue, elle connait certaine limite notamment lorsqu’il s’agit  d’assurer le respect d’autres libertés fondamentales (dans notre cas : le pluralisme ou encore le  droit à une information honnête), ou le respect d’obligation légale (dans notre cas : la loi de  1986 qui expose des critères afin de se voir attribuer une fréquence). 

De manière moins juridique : le proverbe « la liberté s’arrête là où commence celle des autres » peut être très utile pour illustrer le cas de C8. Le Conseil Constitutionnel a déjà dégagé en  1984 que la liberté de communication dans le secteur de l’audiovisuel ne s’arrête pas à la liberté  de l’émetteur mais s’étend également à la liberté de l’interlocuteur. Il doit être accordé à celui-ci la liberté d’avoir le choix de l’information, et de ne pas être cantonné dans une seule et même  opinion. 

En raisonnant d’une telle manière, on peut considérer que la liberté de la chaîne C8 de  s’exprimer comme elle le souhaite s’arrête dès lors que la liberté pour l’auditeur d’avoir le choix  commence. 

Alors, sur ce point, on peut d’ores et déjà constater que la décision de l’ARCOM de ne pas  renouveler C8 ne viole pas la liberté d’expression au sens de l’article 11 de la DDHC car elle  se base sur des critères objectifs consacrés par une loi. 

De plus, la TNT est un espace public, qui est « rare », l’attribution de cette ressource limitée  justifie le fait que l’État impose en contrepartie des obligations spécifiques à respecter comme  garantir le pluralisme d’opinion, diffuser une information équilibrée et respecter des principes  de dignité et de non-discrimination. Or, C8 a été régulièrement sanctionnée pour manquement  à ces principes, notamment par des propos polémiques diffusés sans contradiction et par  l’absence de diversité des opinions exprimées à l’antenne.  

Ce n’est pas l’opinion exprimée par C8 qui est condamné par l’ARCOM, mais bel est bien  l’incapacité de la chaine de respecter ces règles de pluralité imposées par la loi de 1986.  

D’un point de vue démocratique, l’appartenance au groupe Canal+ d’autant de fréquence  hertzienne paraît dangereux. En réalité, le groupe détient 3 chaînes de TNT (C8, CNews, CStar)  dont deux destinées à l’information du public. Cette problématique a déjà été soulevée par  certains chercheurs notamment le collectif « Informer n’est pas un délit » qui dénonce cette  concentration des médias dans les mains de personnes privées. D’autant plus quand les chaînes  de ce groupe restent les plus sanctionnées par l’autorité régulatrice. On peut citer à titre  d’exemple pour illustrer les sanctions de la chaîne CNews : condamnation au visa de la loi de  1881 pour incitation à la haine sur le plateau pour des propos tenus par Éric Zemmour. Il a  affirmé que les étrangers mineurs isolés étaient pour la plupart des voleurs/violeurs/assassins et  que leur présence était assimilable à une invasion.  

Pour finir il est nécessaire de rappeler que le choix de l’ARCOM de ne pas renouveler la  fréquence TNT de C8 ne censure pas la chaîne, celle-ci peut continuer à exister sur le câble, le  satellite, les box internet et le streaming, le programme phare TPMP peut être diffusé via  d’autres plateformes.

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