Un Premier ministre contesté, un gouvernement dépassé, une confiance rejetée. Telle est la réalité exprimée par les députés de l’Assemblée nationale, qui ont refusé, avec une large majorité de 364 voix contre, la confiance demandée par François Bayrou. Après à peine neuf mois à Matignon, le maire de Pau se voit contraint de démissionner conformément à l’article 50 de la Constitution. La Cinquième République, qui a fêté ses 75 ans il y a peu, avait été pensée pour durer et assurer la stabilité du pays. Pourtant, depuis deux ans, les gouvernements se succèdent et aucune majorité claire ni cap politique stable ne semblent se dessiner sur l’échiquier politique, et ce malgré une dissolution. Crise passagère ou inévitable agonie d’un système dépassé ? Entre impasse parlementaire et défiance citoyenne, la France peut-elle encore éviter une crise de régime ?

La Fragmentation du paysage politique
Le 9 juin 2024, le Rassemblement national arrive en tête des élections européennes en France. Pour la première fois, le parti d’extrême droite s’impose lors d’une élection nationale de cette ampleur. Le lendemain, dans la stupeur générale, le président fait jouer l’article 12 de la Constitution et dissout l’Assemblée nationale, une première depuis 1997. Si le pari d’Emmanuel Macron était de « redonner le choix de l’avenir parlementaire » aux Français, la réalité ressemble davantage à un coup d’épée dans l’eau. La Cinquième République s’était distinguée par une certaine stabilité et par un bipartisme marqué entre le PS et l’UMP/LR (et leurs ancêtres respectifs), mais ces élections anticipées révèlent une fragmentation profonde du spectre politique français. Aucune majorité ne se dégage : le RN s’enorgueillit d’une percée historique (123 députés), tandis que la gauche réussit temporairement à se rassembler derrière une coalition, la NUPES, avec 182 représentants. Traditionnellement, une telle défaite de la majorité présidentielle aurait conduit à un gouvernement de cohabitation et de compromis ; mais Macron s’obstine et, après deux mois d’attente, nomme Michel Barnier. Figure méconnue du grand public, il ne résiste pas longtemps : en novembre 2024, il tombe sous une motion de censure après l’échec du vote de son budget, réalisant ainsi pour seul exploit de devenir le Premier ministre le plus éphémère de la Cinquième République.
Le doute et l’instabilité s’installent. Comme le rappelait Einstein, « la folie, c’est de refaire toujours la même chose en espérant des résultats différents » : le président ne semble pas avoir retenu la leçon de son échec et nomme un autre de ses fidèles, François Bayrou, à Matignon, sans pour autant modifier significativement la composition du gouvernement. Le nouveau cap annoncé est clair : réaliser 44 milliards d’euros d’économies. Mais dans une Assemblée minoritaire, comment y parvenir ? La France traverse une grave crise budgétaire : la dette s’accumule, les effets des plans de relance post-Covid-19 se font sentir, et les réformes structurelles souhaitées divisent profondément. Sans surprise, le gouvernement Bayrou tombe à son tour, le 8 septembre, anticipant sans doute une censure inévitable lors du vote du budget.
Une instabilité gouvernementale
Face à cette impasse, le président récompense une nouvelle fois la fidélité de ses proches en nommant Sébastien Lecornu Premier ministre. Réputé fin négociateur, Macron espère sans doute un compromis tout en gardant la main mise sur l’exécutif. Mais une nouvelle fois, le népotisme semble primer sur l’efficacité. Le Président récompense une nouvelle fois l’un de ses proches allié politique. Au gouvernement depuis 2017 et ministre des armées depuis 2022 cette proximité s’interroge alors que les acteurs politiques et la population veulent rompre avec la continuité macroniste. Dominique de Villepin (ancien Premier ministre) a notamment exhorté Lecornu à ne pas être « le gentil toutou de monsieur le Président ». Jamais la Cinquième République n’avait connu une telle succession de Premiers ministres : cinq en seulement trois ans. Mais cette instabilité institutionnelle s’accompagne aussi d’un vaste mouvement de contestation populaire.

La population, lassée d’être entendue mais jamais écoutée, multiplie les actions de mécontentement contre les projets de loi du gouvernement. D’abord avec la réforme des retraites, imposée contre l’avis de la majorité de la population. Ensuite avec la loi Duplomb sur l’agriculture, votée en juillet 2025, qui a cristallisé la colère générale. Enfin, point culminant ou étincelle de cette contestation : le mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre, approuvé par une large majorité des Français. C’est un fait : la confiance est rompue. Les chiffres sont éloquents : seulement 24 % d’opinions favorables pour Macron, 17 % pour Bayrou — des niveaux historiquement bas.
La Ve République, pensée comme rempart contre l’instabilité, apparaît désormais comme son principal foyer. Les gouvernements se succèdent, les majorités se défont, et le pouvoir présidentiel, isolé, entretient davantage la crise qu’il ne la résout. La confiance des citoyens s’étiole, les institutions vacillent.

Reste une question : face à cette défiance généralisée, pourquoi continuer à voter pour un gouvernement qui ne semble plus écouter le peuple ? Macron, en dissolvant l’Assemblée, avait voulu redonner la parole aux citoyens, mais il refuse d’en accepter les conséquences et s’obstine dans son refus du compromis. La crise institutionnelle se double désormais d’une crise démocratique. La souveraineté populaire, dont le vote est l’essence même, constitue le pilier de la Cinquième République. Or, aujourd’hui, ce vote ne semble plus être qu’une expression symbolique sans réalité. Un malaise démocratique s’est installé, marqué par une chute de confiance envers les élus et les institutions, une abstention croissante et une frustration généralisée. Symbole fort : alors que la France exprimait massivement son désaccord avec la politique présidentielle, un macroniste quittait Matignon… pour céder la place à un autre macroniste. Cette continuité nourrit la perception d’une verticalité excessive du pouvoir présidentiel et d’une marginalisation du Parlement, creusant encore le fossé entre gouvernants et gouvernés.
Une remise en question des institutions
Dès lors, dans un pays contestataire, fragilisé par une crise budgétaire, institutionnelle et géopolitique, et dans un paysage politique complètement morcelé, la Cinquième République vit-elle sa dernière décennie ? Pour la gauche, la réponse est claire : Jean-Luc Mélenchon, leader de LFI, plaide depuis 30 ans pour l’instauration d’une VIe République, plus démocratique, moins présidentialiste et plus représentative. La droite, plus prudente, reconnaît la nécessité de réformer profondément le système, mais refuse l’idée d’une nouvelle République. L’objectif semble partagé, le chemin diffère. Une solution s’impose pourtant : rompre avec la tradition politique française du scrutin majoritaire et instaurer une représentation proportionnelle, afin de faire de l’Assemblée un véritable « miroir » de la nation, mesure souhaitée par les deux parties.

La succession rapide des crises politiques, l’érosion du rôle du Parlement et la défiance croissante de la population mettent en lumière les limites structurelles d’un régime conçu pour la stabilité mais devenu source d’instabilité. Plus qu’une difficulté passagère, cette situation semble révéler une fragilisation profonde de la Ve République, appelant à une réforme institutionnelle majeure, sinon à un changement de régime. Enchaînant dissolutions sans issue, gouvernements éphémères et un président retranché dans sa verticalité, la Ve République n’apparaît plus comme un gage de stabilité mais comme le reflet de son propre épuisement. Le divorce entre institutions et citoyens est consommé : la souveraineté populaire ne se traduit plus en pouvoir réel.
Si rien ne change, la question n’est plus de savoir si la Ve République vacillera, mais quand elle cédera.
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