Moins coûteux, omniprésents et redoutablement efficaces, les drones bouleversent les champs de bataille contemporains. Mais au-delà de la tactique, c’est la figure même du soldat et les valeurs militaires traditionnelles qui se trouvent redéfinies.

©PASCAL GUYOT / AFP
Quand le civil invente le militaire
Fait rare dans l’histoire des armées, les drones n’ont pas d’abord été conçus à des fins militaires. Ce sont des technologies civiles qui, peu à peu, ont été militarisées. Une inversion de logique qui explique en partie la créativité et la diversité de leurs usages : du drone FPV employé par des combattants syriens pour cibler les forces du régime, aux engins déployés dans la guerre civile soudanaise, à l’utilisation des drones par les russes et les ukrainiens, la palette des conflits où ils apparaissent ne cesse de s’élargir.
Des engins moins coûteux que l’aviation traditionnelle
Longtemps, la supériorité aérienne reposait sur les avions de chasse ou les missiles de croisière. Mais un drone, à la fois discret et bon marché, peut accomplir des missions similaires pour un coût dérisoire. Les États l’ont vite compris : d’abord les États-Unis, qui ont massivement eu recours aux drones dans leur « guerre globale contre le terrorisme », visant les talibans et Al-Qaïda. Puis d’autres nations, en 2020, lors du conflit du Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan fit des drones un outil décisif face à l’Arménie. Acheminés depuis Israël et surtout depuis la Turquie — devenue en quelques années l’un des premiers producteurs mondiaux — ces engins ont permis à Bakou de remporter un avantage stratégique déterminant.
Un champ de bataille transformé
Avec les drones, le champ de bataille devient presque transparent. Les capteurs omniprésents permettent de surveiller l’ennemi en permanence, d’harceler ses positions et même de pénétrer dans ses camps pour frapper de l’intérieur. La Russie en a fait un usage massif en Ukraine, lançant parfois une centaine d’appareils sur une seule ville en une nuit.
En Ukraine, l’innovation est devenue une arme à part entière. Le 1er juin 2025, Kiev revendiquait l’« opération Toile d’araignée » : une attaque contre des bombardiers russes stationnés loin du front, infligeant, selon l’État ukrainien, près de 7 milliards de dollars de pertes. Coût pour l’Ukraine ? « Des drones bon marché », déclarait Volodymyr Zelensky. Beaucoup de ces engins sont bricolés par des associations, des start-up ou même des civils, puis livrés à l’armée. La Russie, de son côté, a intégré les drones à toutes ses branches militaires et créé des centres de formation dédiés.
Les drones offrent aussi aux Ukrainiens la possibilité de compenser leur infériorité navale. Le drone maritime « Babysea » leur a permis de frapper la flotte russe, alors même qu’ils ne possèdent pas de forces navales comparables. Les drones kamikazes, eux, portent la guerre jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres de la frontière russe.
Une guerre « chirurgicale » ? redéfinir l’éthos militaire
Pour certains, les drones ouvrent la voie à une guerre plus « chirurgicale » : frapper précisément, sans exposer la vie de ses soldats. Mais cette vision occulte un débat éthique plus profond. Que devient le soldat quand il agit à distance, protégé du feu adverse ? Que reste-t-il du courage, du sacrifice, de l’héroïsme, longtemps constitutifs de l’éthos militaire ?
Les critiques pointent une rupture : la guerre sans risque corporel viendrait pervertir l’honneur du combattant, fondé sur l’épreuve physique et la confrontation directe. Pourtant, piloter un drone n’a rien d’une simple tâche technique. Concentration extrême, lourde responsabilité et stress post-traumatique démontrent que le danger n’a pas disparu : il s’est transformé.
L’essor des drones ne bouleverse pas seulement les tactiques militaires, il reconfigure l’identité même du soldat. Les valeurs de courage et de sacrifice, autrefois incarnées par la proximité du danger, se redéploient aujourd’hui dans de nouvelles formes d’engagement à distance. Derrière les engins téléopérés se dessine une transformation plus large : celle d’une guerre où l’innovation technologique rebat les cartes et où les traditions militaires se heurtent aux réalités stratégiques,.
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